N°1 : Des dirigeants tout sauf exemplaires?
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N°1 : Des dirigeants tout sauf exemplaires?

Chez La Vision nous tenons à nous positionner contre les violences sexistes et sexuelles (V.S.S.) notamment dans le rap et à soutenir les victimes. Les V.S.S. sont un vrai sujet de société et concernent tous les milieux socio-économiques. Le rap ne déroge pas à la règle et fourmille d’exemples.

Nous allons vous proposer une série d’articles pour couvrir le sujet : des analyses thématiques, des affaires marquantes, des exemples moins médiatisés, de la pédagogie, des conseils pour les victimes… A vous de piocher dedans selon vos intérêts.

Des dirigeants tout sauf exemplaires?

Pour mieux comprendre les dysfonctionnements qui persistent dans le milieu du rap, je vais commencer par m’intéresser au sommet de la pyramide. Les dirigeants se devraient d’être exemplaires, pour donner le ton et l’exemple. Mais en matière de V.S.S., comme dit plus haut “tous les milieux socio-professionnels sont concernés”. Nous en avons une belle preuve ici avec plusieurs patrons de l’industrie qui posent question. Comme l’omerta est la règle et que les victimes craignent pour leur carrière, les témoignages sont rares et souvent indirects. En interne certaines choses se savent mais la parole reste difficile à libérer.

Commençons par Pierre Bellanger, le célèbre PDG de la radio Skyrock : depuis le début des années 2000, des accusations de pédophilie traînent sur internet. Des groupes essayaient de se mobiliser pour alerter l’opinion. Ce qui n’avait rien d’officiel au début a pris une tournure juridique, et la condamnation pour corruption de mineur a fini par tomber : 1 an ferme pour des faits qui glacent le dos.

L'accusation lui reprochait d'avoir "favorisé la corruption" d'une adolescente de 17 ans avec laquelle il avait une relation, "en l'initiant à diverses formes de sexualité, notamment de groupe, homosexuelle ou sado-masochiste, y compris avec la participation de sa sœur aînée”. Extrait du Monde, le 3/11/2008.

Malgré cette peine, il restera jusqu'à aujourd'hui PDG de Skyrock. Sans que l’industrie ne s’en émeuve ou qu’un réel boycott désintéressé ait lieu. En effet, les rappeurs et maisons de disques continuent à collaborer avec cette radio qui reste incontournable pour le bizness.

Si l’horreur et une condamnation ne suffisent pas à exclure quelqu’un de ce milieu, que faudra-t-il? En revanche les victimes sont écartées, blacklistées, à la moindre tentative d’alerte. Un deux poids, deux mesures qui semble injuste et effrayant.

Pierre Bellanger est un premier cas emblématique et assez parlant dans un environnement où le cri de ralliement “Peine De Mort aux pédos” fait pourtant des émules.

Autre personnage qui a su s’imposer dans le paysage rap : Benjamin CHULVANIJ, ancien directeur chez Def Jam, qui avait auparavant monté le label Hostile. Selon les témoignages récoltés sur le compte #BalanceTaMajor, il est accusé de violences morales (insultes homophobes, menaces…), d’agression physique et aurait fait des insinuations salaces à une juriste. Aucune condamnation à son encontre mais il aurait été poussé vers la sortie pour harcèlement moral et sexuel. Chose qu’il réfute, déclarant être parti de son propre chef.

Il y a aussi l’histoire brumeuse de Thierry CHASSAGNE (Warner) qui quittera son poste après que 9 témoignages anonymes, toujours via le compte #BalanceTaMajor, aient évoqué des “comportements déplacés” lors d’une “soirée d’entreprise” d’un “PDG de Major”. Il n’avait pas été nommé dans ce call-out collectif, mais refusera formellement de s’exprimer sur le sujet. C’est Laurent BOUNEAU (directeur des programmes chez… Skyrock justement…) qui essaiera maladroitement de lui venir en aide avec un “on ne répond pas à la délation” assez laconique, qu’il accompagnera de précisions sur les futurs projets de Mr CHASSAGNE.

Ici on ne peut que spéculer, sans témoignage nominatif il est difficile de s’avancer. Mais la temporalité et les choix douteux utilisés pour sa défense ne semblent pas convaincre.

Même dans le cas où la bonne volonté est mise en avant, des réserves se font entendre. C’est le cas pour Romain VIVIEN, qui est à la tête de Believe à l’heure actuelle.

Mais pour commencer, je vais parler d’Émilie GONNEAU (elle laisse entendre qu’il s’agirait d’un féminisme de façade). Au passage je vais en profiter pour rendre hommage à son apport dans la libération de la parole des victimes.

  • Billet “#MusicToo” - Blog d’Émilie GONNEAU

Le témoignage détaillé dans ce lien a marqué le début d’une vague de mobilisation : c’est dans la foulée qu’à été lancé le hashtag #MusicToo. Un acte fondateur qui aura servi d’élan à une communauté de femmes victimes dans l’industrie de la musique.

Dans ce billet de son blog, Émilie GONNEAU se livre sur une agression sexuelle qu’elle a subi il y a 18 ans maintenant. Un de ses supérieurs, “passe à l’acte sur le lieu de travail, en public et en totale impunité”. Elle en parle au C.E., un rendez-vous est pris avec les R.H. puis la direction. Résultat : RIEN. Aucune sanction n’est mise en place contre son agresseur. Il partira plus tard lors d’un plan social, mais officiellement ce n’est pas en rapport avec les faits dénoncés. L’entreprise aurait même convaincu la victime de ne pas porter plainte.

Elle ne dira rien qui permette d’identifier formellement son agresseur, mais la prudence est de mise : possibilités d’accusations en diffamation, de pressions d’un homme à un poste de pouvoir, de freins dans sa carrière… Les risques d’en dire trop sont nombreux. Elle a la force de témoigner et aussi de s’exprimer sur d’autres cas de V.S.S. publiquement, c’est déjà beaucoup. Cependant, elle s’autorise tout de même une description de son agresseur qui reste assez parlante :

A ce jour : l’agresseur occupe aujourd’hui un poste haut placé dans l’industrie musicale. Il paraît même qu’il est devenu féministe et veut s’engager pour l’égalité femmes-hommes dans la musique.” “#MusicToo”, blog d’Émilie GONNEAU, 12/11/2019.

Revenons maintenant sur Romain VIVIEN et les mises en doute qui sont faites sur sa sincérité dans l’engagement qu’il dit défendre.

A la tête de la maison de disques Believe, il se présente comme un homme progressiste aux convictions féministes, écologiques, qui encourage la diversité. Il agit activement pour l’équité femme-homme au sein de son entreprise : il peut se targuer d’avoir un comité exécutif paritaire et veille à ce que des femmes soient mises en poste dans la direction.

Il est également l’un des signataires de la “Charte contre les violences sexuelles dans l’industrie de la musique”. Même dans son rôle de président des Victoires de la musique, il a mis en avant sa volonté de promouvoir la diversité sous toutes ses formes.

Sa communication se base sur cette image de dirigeant engagé sur plusieurs fronts. Il appuie sur son côté pro-actif dans les luttes qu’il défend publiquement et sa volonté de faire bouger les lignes dans l’industrie musicale.

Pour soigner cette image qu’il s’est construit, il a recruté la présidente d’un collectif féministe pour son pôle communication. Son axe reste professionnel, donc sans doute pensé aussi pour le profit. Il répond à une logique bien éloignée du militantisme classique. Il crée une “carte de visite”, une identité pour Believe et sa carrière : le prototype de l’homme moderne, progressiste, qui représente l’avenir et les nouvelles conceptions sociales.

Émilie GONNEAU le connait bien car elle a travaillé avec lui chez EMI il y a longtemps. Elle ne cache pas un “contentieux” durable qu’elle traine avec lui. Elle est la principale voix qui s’élève pour dénoncer une “hypocrisie” et semble ne pas croire du tout en sa nouvelle image de patron engagé. La sincérité de Romain VIVIEN est remise publiquement en question et écorne cette image qu’il a tant soignée.

Concrètement, qu’elles soient calculées ou non, ses actions restent bénéfiques pour la vie des femmes au sein de l’entreprise. Et elles participent à donner l’exemple. Mais d’un point de vue éthique, le risque que ça soit un engagement de façade peut déranger. Certains pourraient presque en venir à se demander si il ne verse pas dans le côté “pro-fem” zélé avec un double visage et des intentions cachées. Les militantes ont tendance à se méfier des hommes qui se disent “féministes” et cherchent à se construire une image. Ils sont souvent là pour de mauvaises raisons et peuvent se révéler problématiques. Un homme engagé ne se doit pas d’être féministe, c’est un allié.

Le bon allié ne se pose pas en leader dans la cause, il accompagne. Il veille à laisser la parole aux femmes sur le sujet du féminisme car il n’est pas concerné. Il est sensé soutenir, travailler à se déconstruire, pas se mettre en avant et représenter la lutte. Un bon allié doit permettre le féminisme pas l’incarner.

Je finirai cet article sur les mots d’Émilie GONNEAU, véritable figure de la lutte contre les V.S.S. à qui on doit rendre justice.

Ma colère est intacte parce que c’est tout un système qui cautionne l’impunité des agresseurs, qui se nourrit de la peur et du silence des victimes autant que des témoins.” “#MusicToo”, blog d’Émilie GONNEAU, 12/11/2019

Sources :