Le grenier à seum de Médine
Écrit par : @Axaile
À l’occasion de son prochain nouvel album STENTOR, petit plongeon dans le grenier à seum de Médine.
Là-bas, on y découvre plusieurs anecdotes recouvertes par une fine couche de poussière, que l’artiste développe dans son morceau « Grenier à seum » sorti sur son album Médine France en 2022. Nous allons passer un petit coup de chiffon sur 3 d’entre elles et détailler ces histoires afin de dépoussiérer ce grenier.
La prof de compta
Dans Grenier à seum, Médine aborde sa présence dans les livres d’histoire des lycéens, vengeance envers son ancienne professeure de compta qui faisait preuve de mépris à son égard. Mais à quoi fait-il référence ?
Le 17 octobre 1961, Paris fut le théâtre d'une répression sanglante orchestrée par les autorités françaises sous la direction du préfet de police Maurice Papon. Des dizaines de milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement contre un couvre-feu qui leur était imposé. Ils réclamaient l'égalité, l'indépendance, et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Cette mobilisation pacifique se heurta à une violence extrême : des milliers de manifestants furent arrêtés, torturés, reconduits en Algérie, et des centaines perdirent la vie, tués par la police.
Cet épisode, longtemps occulté dans l'histoire officielle, reste un sujet sensible. Récemment, le 28 mars 2024, l’Assemblée Nationale a voté une résolution demandant la création d’une journée de commémoration et la reconnaissance officielle de ce massacre. Adoptée par 67 voix contre 11 (RN), la résolution demeure toutefois sans suite concrète, l’exécutif refusant d’organiser une commémoration officielle de cette journée, et n’a toujours pas été officiellement reconnue par l’État français comme un "crime d’État".
C'est dans ce contexte de mémoire que Médine a choisi de raconter cet événement à sa manière. Dans son album Table d'écoute, sorti en 2006, il dédie le morceau "17 octobre" à cette nuit tragique. Médine revisite l’histoire pour rendre hommage aux victimes et sensibiliser son public.
Le texte de "17 octobre" a été intégré en janvier 2018 dans les manuels d’histoire des terminales E aux éditions Nathan, dans la section consacrée à la guerre d’Algérie. Une page entière y est dédiée, offrant aux élèves un regard à la fois artistique et engagé sur cet épisode. Le morceau de Médine devient ainsi un outil pédagogique, mêlant art et mémoire.
Le massacre du 17 octobre 1961 reste une question ouverte dans l'histoire de France, et des initiatives comme celles de Médine contribuent à maintenir vivante la mémoire de ce crime d'État, malgré les résistances institutionnelles.
La laiterie de Strasbourg
Dans ce couplet, Médine parle de l’annulation d’un de ses concerts « dans le Grand Est ». En réalité, il s’agissait d’un show prévu le 14 décembre 2018 à Strasbourg, dans la salle de spectacle La Laiterie. L’artiste a annoncé le report de son concert sur Twitter le 12 décembre suite à une pression de l’extrême droite. La raison ?
Un attentat revendiqué par Daesh ayant eu lieu la veille, au marché de Noël de la ville, faisait 5 morts et une dizaine de blessés. C’est sans surprise que les politiques issus du Rassemblement National, faisant un rapprochement entre Médine - connu pour ses prises de positions assumées - et le drame survenu plus tôt, n’ont pas hésité à réagir sur Twitter. Nicolas Bay, Leon-Lin Lacapelle, Nicolas Dupont-Aignan, tous ont demandé l’annulation du concert de Médine, sous prétexte d’ « hommage » et de « décence ».

Suite à cette pression, Médine a posté un communiqué sur Twitter, annonçant non pas l’annulation mais le report de son concert. Les pressions du RN envers La Laiterie auraient selon l’artiste poussé la salle de spectacle à ne jamais reprogrammer ce concert. Médine ne s’est donc pas produit sur scène à Strasbourg comme il l’avait communiqué sur Twitter. Victoire de l’extrême droite, de courte durée. En effet, Médine a pu prendre sa revanche et jouer sur la scène de La Laiterie le 23 mars 2023 à l’occasion de sa tournée Médine France.

Le bataclan
Dans le refrain de “Grenier à Seum”, Médine parle du Bataclan, sans approfondir cette anecdote pourtant tristement rattachée à sa carrière.

En septembre 2023, Médine a dû annuler son concert au Bataclan, victime d’une grosse campagne politique menée par la droite et l’extrême droite. Ses deux shows, initialement programmés pour les 19 et 20 octobre 2023, ont été reportés au Zénith de Paris le 9 février 2024, une décision prise avec le Bataclan afin d’assurer "sécurité et apaisement".
Cette controverse découle de critiques autour d’anciennes paroles de Médine, notamment celles du morceau Don’t Laïk (2015), injustement accusé de faire l’apologie du djihadisme. Ce titre satirique, sorti peu avant l’attentat de Charlie Hebdo, visait à dénoncer une interprétation dogmatique de la laïcité avec des phrases volontairement provocatrices, comme « Crucifions les laïcards comme à Golgotha ». Médine a clarifié ses intentions : « Ce morceau n’a pas été compris comme je l’avais écrit et pensé. »
« L’extrême droite utilise depuis longtemps cette stratégie pour associer musulmans et terroristes. Médine, au contraire, lutte contre le terrorisme et milite pour l’égalité et le vivre-ensemble. » - Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
Le report des concerts est une réponse directe aux menaces émanant de groupes d’extrême droite, certains ayant prévu de manifester devant le Bataclan. Bien que cette salle, marquée par le drame de novembre 2015, ait le droit de choisir librement ses artistes, les pressions politiques et médiatiques ont compliqué ce choix. Médine a qualifié cette décision de "douloureuse", précisant qu’elle avait été prise par respect pour les victimes et pour protéger son public.
Cette polémique soulève des questions importantes sur la liberté d’expression artistique en France et les doubles standards dans le débat public. Si la liberté est largement défendue pour les caricatures ou les critiques religieuses, elle semble vaciller lorsqu’il s’agit d’artistes issus des quartiers populaires ou de minorités. Médine avait déjà dénoncé cette hypocrisie en 2017, regrettant que ses propos soient souvent détournés pour alimenter des discours islamophobes.
Médine, ce n’est pas juste des polémiques. C’est un artiste qui fait passer des messages : dénoncer les injustices, déconstruire les stéréotypes et promouvoir une société inclusive.
Dans une démocratie qui se vente de défendre la culture et le dialogue, le cas Médine rappelle que la liberté artistique est un combat permanent, surtout lorsqu’elle vient des marges.
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